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Rester inactif était sans doute ce qui était le plus dur depuis qu’il était rentré. Ca lui laissait beaucoup trop de temps pour penser à tout ce qui lui était arrivé et tout ce qu’il avait manqué pendant 6 ans. On avait beau dire, l’armée était quelque chose de singulier, qui vous transformait complétement. Il ne regardait plus sa maison et les rues tranquilles aux alentours de la même façon. Et il mettait bien plus d’ardeur dans ses prières qu’il ne l’avait jamais fait auparavant. Il connaissait le prix d’un bon repas, et d’un lit confortable mais pas celui d’une âme tranquille. Il lui arrivait souvent, d’avoir des montées de panique face à des détails complétement anodins, comme des bruits de tir à la télévision. Ses parents s’amusaient de ses frayeurs, mais ils ne voyaient pas le pire, quand il se réveillait en pleine nuit, trempé de sueur, des souvenirs atroces plein la tête. Car ses cauchemars avaient un goût trop proche de la réalité. Aussi prenait-il chaque occasion de s’occuper les mains et l’esprit. Et après lui avoir fait repeindre les volets et nettoyer les gouttières, sa mère commençait à être à court d’imagination. Alors elle lui avait collé dans les pattes la mise en place d’un petit potager et elle se voyait de plus en plus prendre le thé à l’abri d’un porche. Tout, pourvu qu’il arrête de penser. On aurait pu croire que rentrer à la maison lui ferait du bien mais chaque recoin recelait de milliers de souvenirs avec lesquels il ne savait plus quoi faire, comme si le temps, ou l’absence les avaient rendus insignifiants. Bien que ce ne soit pas le mot exact. Ils étaient surtout douloureux. Hantés.

« Je me suis dit que tu aurais soif. » Fit sa mère en l’interrompant dans ses ruminations. Relevant le nez, Samuel lui adressa un sourire et prit dans sa main le verre de citronnade qu’elle lui tendait, l’avalant d’une seule traite. Elle tenait la cruche prête et elle lui en servit un second, qu’il but avec plus de lenteur tandis qu’elle promenait son regard sur le travail déjà achevé. « Dis donc tu te donnes du mal… »
« Il faut se dépêcher si on veut que certains trucs poussent cette année. Et puis j’ai pas grand-chose à faire d’autre pour le moment… »
« Tu pourrais… »
« J’attends toujours une réponse du supermarché. Même remplir les rayons ça m’irait assez comme job. »
« Oh Samuel ne soit pas ridicule, ils doivent avoir mieux pour un vétéran… »
« Je suis toujours un marine M’man. C’est juste un congé. »
« Sam… » Elle fronça les sourcils, elle s’énervait chaque fois que le sujet était abordé. Elle croyait que son fils lui était revenu pour de bon, et qu’il allait commencer à construire sa vie. Et Samuel ne manquait jamais de rétorquer que ce n’était qu’une pause et qu’il retournerait en service dès qu’on l’y autoriserait. Que c’était là-bas sa place maintenant et que rien ne le retenait vraiment à Dillon. A force, Andrea était à court d’arguments pour le contredire ou lui faire entendre raison, et elle se contentait de répéter son prénom sous différents ton réprobateurs en fronçant les sourcils. Il s’y était habitué, et il laissait les moments passer d’eux-mêmes, comme à l’instant où il finissait son verre pour ensuite le confier de nouveau à sa mère et reprendre sa besogne.


Ses muscles se tendirent quand une voix différente de la voix maternelle l’interpella et il se retourna, plantant la pelle avec laquelle il travaillait dans la terre. Il plissa les yeux à cause du soleil, étudiant la silhouette qui se dessinait dans le contrejour. La vision le soufflait, elle lui ôtait toute force et il déglutit avec difficultés alors qu’il retirait les gants de cuir qu’il portait, s’occupant pour ignorer le flot de sentiments contradictoires qui l’assaillait. Il essayait de ne pas s’attarder sur les détails, comme le bas de sa robe qui flottait dans la brise ou les boucles feu qui tombaient sur ses épaules et lui allaient bien mieux que toutes les autres couleurs qu’elle avait osé infligé à ses cheveux.

« Voyez donc ce que le vent nous apporte… Ellie Wulf. » Souffla-t-il, comme si prononcer son nom de famille allait le prémunir de ce qu’il ressentait à son égard. Il était surpris, que l’amour supplante la colère et le sentiment d’abandon qu’il avait traîné pendant six années. « Perdue ? Qu’est-ce que la famille Tyree peut faire pour toi ? » Demanda-t-il en haussant les épaules. D’accord, peut-être que la colère n’était pas très loin derrière après tout.

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Trois ans c’était quelque chose. 1095 jours à penser à elle. 26280 heures à attendre un signe de sa part. Et d’innombrables secondes dans la solitude. Trois ans c’était le temps qu’on lui demandait, une seconde fois. Il avait gardé le papier d’acceptation de ré-enrôlement contre son cœur pendant une semaine avant de finalement craquer et le signer. Trois ans de plus. Il avait fini de signer pile au moment où la paume d’un de ses camarades quittait son épaule. Celui qui distribuait le courrier et qui une fois de plus venait de lui apporter une mauvaise nouvelle. Celle qu’il n’y en avait aucune. Il avait appris à déchiffrer son regard dès son entrée dans le baraquement, tandis que lui avait appris à éviter le sien, à louvoyer entre les lits en déposant ses enveloppes sans jamais se presser surtout lorsqu’il arrivait à sa hauteur. Samuel posait toujours la même question, obtenait invariablement la même réponse et au bout de quelques mois leur rituel était devenu silencieux. Samuel levait son regard vers lui, essayant de masquer comme il pouvait son impatience, et le soldat posait une main réconfortante sur son épaule et la pressait avec camaraderie et affection. Un échange que seuls des hommes qui affrontaient la mort ensemble pouvaient avoir. Trois ans de silence qui l’avait terrassé de douleur. Le double avait étouffé ses espoirs.

Aujourd’hui face à elle, il ressentait toujours le même sentiment d’attente et il essayait de se convaincre que c’était mal. Il s’était accroché pendant tout ce temps alors qu’il aurait suffi de quelques mois de silence à n’importe quel abruti pour comprendre le message. Lui n’avait jamais désespéré qu’elle finisse pas lui pardonner et il avait fait en sorte de le lui montrer en continuant à écrire malgré tout. Depuis qu’il s’était fait tirer dessus, sa perspective sur le sujet avait néanmoins évoluée. Il savait qu’il avait commis une faute en ne parlant pas de son enrôlement à la seconde où il avait été accepté mais elle avait fait bien pire en brisant une des promesses qu’ils s’étaient faite, à savoir que rien ne viendrait jamais se mettre en travers de leur amitié. Il était curieux de savoir pourquoi elle était là aujourd’hui. Si c’était pour une autre raison que de satisfaire sa curiosité, comme beaucoup d’autres venus saluer la famille Tyree et le retour du « héros » mais il sentit la déception le ronger rapidement.

Sur sa dernière remarque, il esquissa un sourire qui s’éteint immédiatement. A parler de sa musculature il lui était venu une anecdote qu’autrefois il n’aurait pas manqué de partager avec elle parce qu’elle les aurait faire rire aux larmes. La star du lycée était tombée sur lui au supermarché la dernière fois, et il avait vu son regard le scanner deux fois, d’abord incrédule puis franchement intéressée. Elle avait minaudé auprès de lui pendant une bonne demi-heure, lui demandant de ses nouvelles et s’extasiant à chaque phrase qu’il prononçait, puis elle l’avait invité à boire un café. Chose qu’il avait poliment refusé. C’était la même femme qui, lorsqu’ils étaient ados, était incapable de retenir son prénom et dont ils se moquaient chaque fois qu’elle l’interpellait par un mauvais. Il avait eu le droit à tout, Kyran… Drew… Desmond… Taylor… Mais jamais Samuel. Mais cette fois-là au supermarché, elle n’avait pas manqué de le ronronner plusieurs fois en caressant ses pectoraux. A croire qu’effectivement ça lui allait plutôt bien. Gêné il se contenta de tirer sur le haut de son jean pour le remettre en place alors qu’il n’avait pas bougé de ses hanches. Il avait du mal à soutenir le regard d’Ellie. Mais encore plus à cacher la fureur qui montait en lui alors qu’elle lui parlait comme s’ils ne s’étaient jamais quittés.

« C’est tout ce qui compte… Pas vrai ? » Railla-t-il en réutilisant les exacts derniers mots qu’elle lui avait adressé six ans auparavant. Si elle lui en avait laissé le temps, il aurait trouvé mille autres choses qui comptaient d’avantage que le fait qu’il rentre sain et sauf. A commencer par ce que provoquait son rire en lui. Ou ce qu’il avait ressenti en caressant sa peau. Il déglutit avec difficulté alors que la sensation diffuse du souvenir embrasait son esprit et il détourna son regard d’elle, incapable de soutenir sa vision plus longtemps.

« Autre chose à ajouter ? Parce que je suis un peu occupé en ce moment. »

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Sam avait et serait probablement toujours l’homme le plus important de sa vie. Après son père bien sûr. Elle n’avait jamais eut autant confiance en un homme et même après son départ, elle n’avait pu trouver quelqu’un d’autre comme lui. Ce qu’ils avaient était bien trop fort. Elle avait bien essayé de l’oublier dans les bras d’un autre mais ça se soldait toujours par des échecs. Parce qu’au lieu de s’attacher à la personne, elle cherchait des ressemblances avec lui. Elle n’avait fait que le chercher pendant tout ce temps. Elle n’avait jamais pu aimer quelqu’un d’autre, ses petits amis lui avaient à chaque fois reprocher la même chose. Et elle avait finit par conclure qu’elle ne cherchait pas quelqu’un d’autre. Elle n’avait fait que l’attendre.

Elle se racla la gorge, soudain gênée de cette situation et honteuse de ces retrouvailles, et elle ne put regarder que ses pieds. Ca lui brisait le cœur, de voir qu’ils étaient si éloignés maintenant. La distance avait eut raison de leur amitié. Et elle n’avait fait que l’augmenter en restant silencieuse pendant six longues années. Et bien qu’elle lui en voulait de l’avoir abandonné, elle s’en voulait encore plus. Bien plus. Elle baissa le regard, cette phrase dans sa bouche était encore pire et lui faisait revivre des souvenirs qu’elle n’avait pas envie de ressentir. Il touchait là où ça faisait mal et elle ne pouvait même pas le blâmer pour ça. Elle ne regrettait pas de lui avoir dit ça, elle regrettait juste de ne pas avoir attendu de réponse. Mais après tout, il n’avait rien fait pour la retenir, il n’était jamais revenu chez elle avant de partir. Il était partit se battre. Mais pas pour elle.

« Non je… hum… Je suis désolée c’est vrai je suis passée à l’improviste sans prévenir et… Après tout tu pensais t’être débarrassé de cette fouineuse de blonde et voilà qui débarque à nouveau ! » Lâcha-t-elle pour détendre l’atmosphère comme elle l’avait toujours fait mais elle se rendit bien vite compte de son erreur. Rien n’était comme avant. C’était un leurre que de croire qu’ils pouvaient repartir comme si de rien n’était, comme si six années ne les avaient pas changé.

« Je… Je vais y aller. » Elle retenait les larmes au creux de ses yeux.

Elle fit demi tour et avança de quelques pas dans l’allée avant de finalement se retourner, non elle ne pouvait pas partir comme ça. Pas après tout ce qu’ils avaient vécut. Oui elle avait commit des fautes, oui elle aurait dû lui répondre, oui elle l’aimait encore mais que pouvait-elle y changer ? Elle ne pouvait pas revenir en arrière, elle avait agit comme ça car c’était le mieux pour elle, le mieux pour eux. Mais elle n’avait pas tenu sa promesse, celle de ne jamais rien mettre en travers de leur amitié. Mais il avait été le premier à le faire. Il avait mit la guerre et des milliers de kilomètres entre eux.

« C’est pas tout ce qui comptait Sam et tu le sais ! » Fit-elle la voix tremblante et en même temps sûre d’elle. Elle n’était plus la petite fille qu’il avait connu. Elle n’avait plus peur de qui elle était, ni même du regard des autres. Pourtant seul lui la connaissait entièrement. Et elle avait peur de son regard à lui, à présent.

« Mais plus que n’importe quoi, que tu sois en vie et que tu le restes, c’est tout ce qui importait vraiment, à l’époque, et encore maintenant. Peu importe ce que je pouvais ressentir ou ce qu’on avait vécut c’était ça le plus important. »

Jamais elle n’aurait pensé que leurs retrouvailles soient ainsi. Dans ses rêves, elle avait imaginé que son retour serait inoubliable. Qu’ils auraient le courage de se pardonner et de se retrouver comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Mais c’était plus qu’utopique. Elle aurait aimé le prendre dans ses bras, sentir la chaleur de ses bras, goûter à nouveau la douceur de ses lèvres. Au lieu de ça elle se battait contre un mur. Un mur qu’elle avait elle-même érigé.

« J’aurai peut-être pas du venir... Je suis désolée… »

Elle planta une dernière fois son regard dans le sien, comme pour garder un dernier souvenir du nouveau lui et fit quelques pas en arrière.

« Au revoir Samuel. »

Elle se retourna finalement, assez à temps pour qu’il ne remarque pas la larme qui s’était insinué au coin de son œil et qui agonisait maintenant sur la paume de sa main.