Mon père : « Pourquoi tu ne vas pas t’entraîner durant la journée ? » Moi : « Tu sais très bien pourquoi. » Mon père : « Bon, oui, je vais formuler ça autrement : quand est-ce que tu vas arrêter de te cacher ?. » Moi : « Quand je me sentirai prêt à me montrer. »
Et je coupe court à l’interrogatoire en replaçant mon sac de sport sur mon épaule avant de sortir de la maison. Durant le trajet qui me mène jusqu’au lycée, je repense à ce que mon père a dit et dans le fond, je sais bien qu’il agit dans mon intérêt et qu’il s’inquiète seulement voilà : je ne suis pas prêt c’est tout. Ce sera quand même un sacré pas en avant (c’est le cas de le dire) quand je vais me pointer auprès du coach de l’équipe d’athlétisme pour lui demander de me laisser passer des sélections pour rejoindre l’équipe. Je veux que d’ici là, mes intentions restent secrètes parce qu’au moins, si je me plante, personne n’aura attendu quoi que ce soit de moi à l’avance. Et puis, en plus, je vais vraiment montrer ma prothèse pour faire ça puisque je vais courir en short pour être le plus à l’aise possible et si j’ai eu envie de montrer ma prothèse pour enquiquiner le monde quand j’en ai eu assez qu’on me regarde, je ne suis pas encore passé à l’acte. En plus, cette prothèse-là est différente : au bout de ma jambe pas de pied, une lame pour la course, le genre de trucs qu’on voit à la télévision pour les compétitions de handisport mais dans un lycée… Disons que ça doit être plus rare ou peut-être que ça ne l’est pas tant que ça mais que je l’ignore, voilà tout.
Quand j’arrive au lycée et que je me gare, je jette un coup d’œil à ma montre : 20h53. Bien, je suis à l’heure pour commencer mon entraînement à 21 heures. Je m’impose cette ponctualité et de la discipline comme je l’ai toujours fait parce que c’est la clé d’une bonne préparation et cette préparation-là est encore plus importante que les autres parce que maintenant que j’ai appris à maîtriser la prothèse (avec plus de facilités que je ne l’aurais cru), je dois apprendre à bien gérer mon corps pour gagner en vitesse et courir comme avant. Non : pour courir mieux qu’avant, il paraît qu’avec la prothèse c’est possible. Quand j’arrive au stade, les lumières sont éteintes. Heureusement qu’il y a quelques réverbères aux alentours et que le ciel est éclairé par une vaste pleine lune sinon je n’y verrais pas grand-chose. Ajoutez à ça le fait que les températures baissent dès que la nuit est tombée… Oui, bon, mon père a raison : il ne va pas falloir que je tarde trop à me lancer parce que mes entraînements nocturnes ne vont pas pouvoir durer éternellement. Une fois au niveau des pistes d’athlétisme, je pose mon sac sur le banc, retire mon blouson, mes chaussures et mon pantalon de survêtement. C’est ensuite ma prothèse quotidienne que je retire avant de mettre en place la prothèse sportive. J’enfile une seule basket et me redresse avant de me mettre sur le couloir du milieu. Je m’étire, m’échauffe correctement et ça me prend du temps. Ce n’est que quand je sens mon corps prêt, quand j’en suis certain, que je m’élance sur la piste.
Le pied. C’est le pied. Sans mauvais jeu de mots.
C’est juste absolument grisant de pouvoir courir de cette façon, aussi vite. Bien sûr c’est différent du football et ce sera toujours différent mais je parviens malgré tout à prendre du plaisir et à me dépasser et cela fait partie des choses que j’aime et que je recherche au quotidien. Je fais ainsi plusieurs tours de piste et finalement, je termine par faire quelques sprints. Je suis ravi car d’une, mon souffle est bien meilleur que quand j’ai commencé à m’entraîner, et de deux, ma douleur au niveau du moignon est de moins en moins présente. Je commence à croire que ça va vraiment le faire jusqu’à ce que j’aperçoive une silhouette au loin. Je me fige dans ma course jusqu’à soulever un nuage de poussière. Mon torse se soulève au rythme de ma respiration rapide et je scrute la pénombre pour essayer de voir de qui il s’agit. Une chose est certaine : je ne suis pas seul, quelqu’un me voit comme je vois cette personne et c’est mon secret qui vient donc d’être découvert. Je me tends comme un arc alors que je suis figé et, quand je finis par distinguer les traits d’Autumn, je ne me détends pas d’un pouce. Pourtant, elle est mon amie. Alors quoi ? Pourquoi cela me gêne-t-il qu’elle me surprenne sur cette piste de course alors qu’on approche des 21h30 ? Parce qu’elle aime le football, qu’elle essaye depuis des mois de me traîner aux matchs et que je refuse systématiquement et que j’ai peur : j’ai peur qu’elle ne comprenne pas ce choix que j’ai fait, j’ai peur qu’elle trouve ça ridicule. J’ai peur que de voir pour la première fois ma prothèse la choque au point qu’elle fasse demi-tour.
Je la fixe.
« Qu’est-ce que tu fais là ? »
Et c’est la meilleure entrée en matière que j’ai trouvé. J’ai besoin d’être sur la défensive parce que là, tout de suite, je me sens vulnérable. J’aurais pu la saluer poliment mais c’est sorti tout seul.
Sujet: Re: Turning point [Autumn] Ven 10 Oct - 8:46
"Turning point"
J’étai au lycée depuis huit heures ce matin et je commençais à ne plus en pouvoir. J’avais eu une journée de cours assez chargée, remplie de devoirs surprises par mes professeurs charmants bien entendu mais après tout cela, au lieu de rentrer chez moi et de profiter d’un bon bain pour me relaxer, c’était l’entraînement des cheerleaders qui m’avait attendu. J’aimais être une cheerleader ne vous faites pas d’idées mais des fois, les entraînements tombaient vraiment le mauvais jours je vous jure. Je dansais cependant, je donnais le meilleur de moi-même mais quand je vis mes amies se diriger vers les douches je les enviais. Ce n’était pas pour moi encore, je n’avais pas fini de souffrir pour la journée. J’allais cependant faire une pause en attrapant des gâteaux dans mon sac et en sortant un livre. J’ignorais quand Teofilo pointerait le bout de son nez, je n’écoutais jamais les horaires qu’il me donnait parce que j’étais toujours là avant lui pour mon premier entraînement. Je n’aimais toujours pas la danse de salon mais je commençais à mieux me débrouiller, la barrière de la langue était bien là mais on avait appris à faire avec et à communiquer dans un langage mêlant nos langues d’origines. Je désespérais de devoir apprendre toutes ces danses mais je n’avais pas le choix, vraiment pas le choix. Je refusais qu’il y ait une tâche sur mon dossier juste parce qu’un jours j’avais pété les plombs et séché les cours. Je ne comprenais pas pourquoi les gens en attendaient tant de moi, c’était pénible cette pression. Il y avait des gens qui séchaient des semaines de cours sans qu’on ne leur dise rien et mon petit pas de côté me coûtait très cher, vraiment trop cher malheureusement … Mais je devais assumer maintenant, j’aurais dû penser aux conséquences avant de faire quoi que ce soit. J’étais dans mes pensées plus que dans mon livre quand Teofilo arriva et l’on se mit au travail. Nous étions un peu plus confortables avec la présence de l’autre désormais, c’était différent sans trop l’être non plus enfin je ne savais pas comment l’expliquer. Je me pliais donc à ses danses et je faisais de mon mieux, chose qu’il ne pouvait pas me reprocher. Nous travaillions de longues heures, bien trop longues parce que je sentais à peine mes jambes quand nous avions terminé. Comme d’habitude, Teofilos s‘éclipsa dès la fin du cours et je me dirigeais vers les vestiaires pour récupérer mes affaires. Je récupérais mon portable et je vis que mon père n’était pas à la maison mais à un dîner d’affaire, génial. Je décidais donc d’aller faire un tour sur le terrain de football, c’était un endroit où j’adorais me retrouver pour réfléchir. Ce que j’adorais faire c’était m’allonger au milieu et regarder les étoiles. Toujours dans ma tenue de cheerleader, je partais donc en direction du terrain et c’est en arrivant sur les bords du terrain que je remarquais une silhouette sur le terrain, quelqu’un était en train de courir, de s’entraîner, je ne savais pas trop bien en fait. Je m’approche petit à petit et je finis par apercevoir le visage de mon ami Zach qui est complètement tétanisé. Qu’est-ce qu’il fait là ? Et depuis quand il court ? Je me souvenais de ce qu’avait dit le docteur, j’étais là, je me souvenais des longues heures à essayer de lui remonter le moral parce qu’il ne pourrait plus jouer au football. Mais il m’avait menti ? Pourquoi donc ? Je ne comprenais plus rien et la question de Zach me mit hors de moi : « Qu’est-ce que tu fais là ? » Je ne pus m’empêcher de laisser échapper un petit rire à ces paroles. Il rigolait pas vrai ? Il allait me reprocher de venir sur le terrain alors que c’était lui qui n’avait rien à faire là. « Je devrais plutôt te retourner la question Zach. Tu comptais me prendre pour une conne combien de temps ? » C’était peut-être très direct mais je n’en pouvais plus. J’avais l’impression d’étoffer, tout le monde se foutait de ma gueule en ce moment. Absolem quand il m’avait brisé le cœur, Eliott en revenant la bouche en cœur, la principale avec sa punition à la con, ma mère en pensant que j’allais pour toujours rentre dans son moule. Je n’en pouvais plus qu’on me prenne pour une conne.
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