« Allez, monte ! Je te promets que tu ne te feras pas mal. » Affirme-je en agitant frénétiquement la tête. Aujourd'hui, c'est journée au parc, comme tous les dimanches après-midi en fait. Si je passe déjà tout mon temps avec ma sœur, c'est d'autant plus le cas le dimanche qui est notre jour. Il nous aura fallu bien des supplications pour parvenir à faire céder nos parents, pour réussir à faire en sorte d'aller jouer autre part que dans le jardin derrière la maison. Très protecteurs envers les enfants que nous sommes – d'autant plus avec un casse-cou comme moi – qu'ils aient fini par céder relève du miracle, mais je ne vais pas m'en plaindre. « J'ai peur, Ollie. » M'avoue Elsa, son regard se voilant de larmes. Mon cœur se sert au creux de ma poitrine. Je déteste la voir ainsi. Je déteste lorsque ma jumelle est triste, malheureuse et tout ce qui va avec. Moi, je préfère qu'elle sourit, quand ses yeux pétilles de joie et que son rire devient communicatif. Moi, j'aime ma sœur heureuse et je ferais toujours tout ce qui sera en mon pouvoir pour que ça reste ainsi, c'est une promesse que je me suis fait il y a quelques temps déjà. Je descends de l'arbre sur lequel j'étais perché jusque-là et je rejoins Elsa. Un petit sourire étire mes lèvres tandis que je la prends dans mes bras. « Très bien, on va faire autre chose alors. » Dis-je en la gardant un peu plus longtemps dans mes bras. De toute manière, pour ma sœur je ferais n'importe quoi, y compris jouer à la poupée si ça peut lui faire plaisir. « On peut aller faire de la balançoire ? » Me questionne-t-elle en dégageant sa tête de sorte à croiser mon regard. Son sourire est de nouveau présent sur ses lèvres et ses larmes se dissipent doucement. « Si tu veux. Je te pousse ? » Elsa secoue la tête de haut en bas, son sourire se faisant plus large que ça ne peut déjà être le cas. A mon tour, un petit rictus apparaît au coin de mes lèvres. Je me sépare de ma jumelle, attrape sa main et l'entraîne en direction des balançoires à quelques mètres de là. Même si nous avons exactement le même âge – à quelques heures près – je me conduis toujours comme le grand frère tout bonnement parce que notre père me l'a demandé, mais aussi parce que j'aime ce rôle. Elsa compte énormément pour moi car elle n'est pas seulement ma sœur, elle est également ma moitié, une partie de moi, celle que je respecterai et protégerai toujours, contre vents et marées. Ma sœur c'est ma vie et même si je n'ai que douze ans je sais que ça ne changera jamais.

L'estomac noué, je passe le portail de la maison familiale. Je crois n'avoir jamais mis autant de temps à parcourir les quelques mètres qui séparent le portail de la porte de la maison. Mon angoisse est si importante que je pense à faire demi-tour alors que mes jambes, par automatisme, montent déjà les quelques marches du perron. Mes mains tremblent. J'ai beau essayé de former des phrases correctes dans mon esprit afin d'annoncer la bombe, elles finissent toutes par se dénuer de sens. Comme une image gravée à tout jamais sur ma rétine, je revois le visage ampli de panique de Juliet lorsque je l'ai rejoins chez ses parents. Sa voix déformée par les sanglots ne m'avaient pas rassuré, mais la suite n'avait fait qu'empirer les choses. En vacances l'un comme l'autre dans notre Dillon natale, je n'aurais pas imaginé que les événements prennent une telle tournure. Nous sommes étudiants bon sang ! Nous n'avons pas le temps pour … ça! Lorsque j'ai quitté le lycée, j'avais des rêves plein la tête. Une bourse grâce au football, d'excellentes notes m'ayant permis d'intégrer Stanford, je me voyais déjà devenir un des meilleurs avocats du pays en montant mon cabinet avec la femme que j'aime depuis le lycée et maintenant … maintenant je ne sais plus. Debout face à la porte d'entrée, je tends ma main mais celle-ci reste en suspend dans le vide. Que vont-il dire ? Quelle va être leur réaction ? J'ai toujours tout fait pour être la fierté de mes parents. J'ai toujours tout fait pour le prouver ce dont j'étais apte, pour leur montrer que je serais capable de quitter Dillon pour une ville bien plus grande et avec bien plus d'offres d'emplois. Je voulais m'assurer d'avoir un brillant avenir, comme ce dont ils rêvaient pour moi et désormais tout s'effondre. Je déglutis avec difficulté. J'inspire et expire un bon coup, juste de quoi me donner le courage d'ouvrir la porte, ce que je fais. Aussitôt, les bruits familiers de la maison de mon enfance me reviennent. L'espace de quelques secondes je retrouve le sourire et, comme à son habitude, ma mère apparaît dans l'entrée. « Alors, Juliet voulait quoi ? Tu l'as invité à manger rassure-moi ? » Me demande-t-elle en me rejoignant. A ma hauteur, elle s'occupe de fermer la porte et elle m'entraîne dans la cuisine, son repaire. Il me faut un temps pour parvenir à former une phrase correcte dans mon esprit, assez de temps pour que ma mère lise en moi, ce que je déteste, encore plus à vingt ans. « Il faut que vous parle, à toi et papa. » Finis-je par annoncer d'une voix blanche. Les sourcils de ma mère se froncent, signe qu'elle commence à s'inquiéter. Elle ne dit rien pour autant. Elle se contente d'opiner du bonnet pour ensuite prendre la direction du salon. Je lui emboîte le pas. Dans la pièce se trouve mon père. Si la télévision est allumée et diffuse un match de football, mon paternel ne le regarde pas, bien trop concentré sur son journal. « Chéri, lâche ce papier quelques minutes, ton fils à quelque chose à nous annoncer. » Merci maman, pense-je de toutes mes forces. Je ne suis pas certain que je serais parvenu à le dire aussi calmement. Mon père lâche son quotidien et pose ses iris sur moi. La panique redouble. Des deux, c'est de lui dont je crains le plus la réaction. J'humecte mes lèvres et croise mes mains. C'est deux gestes leur font comprendre aussitôt que ce que j'ai à dire est sérieux. Mon père se redresse sur son fauteuil, ma mère s’assoit sur l'accoudoir à ses côtés. « Bon … je ne vais pas y aller par quatre chemins. » Débute-je, persuadé que ces quelques mots vont m'aider à me lancer mais de nouvelles longues secondes s'écoulent avant que je ne reprenne la parole. « Juliet est enceinte … et elle va garder le bébé. » Silence. Mes deux parents me fixent sans savoir quoi dire. Ma mère ouvre la bouche et la referme aussitôt. Quant à mon père, je ne saurais même pas dire ce qu'il pense tant il est de marbre. « C'est une plaisanterie ? » Me demande-t-il finalement. Ayant déjà fait bien assez d'effort en leur avouant la grossesse de ma petite amie, je me contente de secouer la tête de gauche à droite. « Et tu nous expliques comment deux étudiants vont faire pour élever un enfant ? Oliver, vous n'avez même pas de revenus ! As-tu au moins conscience de ce que coûte un enfant, surtout à votre âge ? Vous ne pouvez pas penser sérieusement à le garder ! » Oh moi je suis parfaitement d'accord avec lui, mais Juliet ne voit pas les choses de la même manière. Née et élevée dans une famille très croyante, ne serait-ce qu'envisager l'avortement est impossible et ça, elle me l'a bien fait comprendre. « Je ne peux pas la laisser se débrouiller toute seule. Je suis aussi coupable qu'elle, il est hors de question que je la laisse tomber. » Explique-je sans quitter mon père du regard. Je le vois sur le point de se lever, ce qui n'est vraiment pas bon signe, mais d'une légère pression à l'aide de sa main, ma mère lui fait comprendre de ne rien en faire. « C'est très noble de ta part, Ollie, mais l'un de vous deux va devoir se sacrifier, tu le sais ? » Je ne réponds rien et ça leur suffit. Je le sais très bien et puisqu'ils me connaissent par cœur, ils savent via cette absence de réponse que celui qui va se sacrifier c'est moi. Je suis ainsi, je l'ai toujours été. Je me sacrifierai toujours pour les gens que j'aime, quitte à voir mes rêves voler en éclats.

« Je vous parie vingt dollars que ce sont encore des gosses à l'origine de cet incendie. » Les mains sur le volant, les yeux rivés sur la route, j'écoute mon collègue et ne peut qu'aller dans son sens. En plusieurs années de carrière comme pompier, j'ai vu bien des incendies, mais ceux de ces derniers mois ont toujours une connexion avec quelques lycéens trop ivres pour faire attention. Ça me navre tout autant que ça m'inquiète. En tant que père de famille et oncle, j'ai toujours cette crainte que ma fille et mes nièces ne fassent parties de ce petit groupe et que quelque chose de terrible ne leur arrive. « Je prends le pari ! » Lance Julian en enfilant son casque sur lequel il tape d'une main pour s'assurer qu'il est bien enfoncé sur sa tête. Je secoue la tête de droite à gauche et souris. Ces moments ne nous amusent pas, il n'y a rien de drôle là-dedans, néanmoins ce n'est pas ce qui nous empêche d'essayer de plaisanter car, autrement, nous serions bons pour passer notre vie chez un psychiatre ou même à l'asile. Nous ne pouvons pas toujours sauver tout le monde, c'est une triste vérité que l'on apprend bien vite dans ce métier cependant nous nous rattachons aux petites choses de la vie comme toutes ces fois où nous parvenons à sauver quelqu'un. « On y est. » Déclaré-je en amenant notre camion au plus près du bâtiment. Le moteur coupé, nous sautons tous sur l'asphalte et rejoignons notre chef pour avoir plus d'informations. « Les deux adolescentes qui nous ont appelé nous ont informé qu'un groupe de lycéens se trouvent encore à l'intérieur. » Nous explique-t-il. Mon estomac se contracte. Je n'aime pas ça, je crains toujours que le pire arrive, que nous ne parvenions pas à sauver tout le monde. « Bien, Julian et Andrew, vous montez sur le toit, il faut qu'on ventile. Thomas et Danneel vous entrez avec moi. » Tous acquiescent et tandis qu'un second camion de la caserne arrive, nous nous dirigeons vers l'entrée. J'attends avec mes collègues que Julian et Andrew aient atteint le toit et lorsqu'ils nous informent que leur job est fait nous entrons à l'intérieur, masque sur le visage. La fumée nous empêche de voir à plus de deux mètres devant nous, mais ce n'est pas ce qui nous arrête. Danneel s'occupe d'inspecter le rez-de-chaussée tandis que Thomas et moi montons aux étages supérieurs. C'est alors que j'atteins le second étage du bâtiment – abandonné depuis au moins trois ans – que j'entends enfin le groupe d'adolescents que nous cherchons. « Reculez ! » Hurlé-je sans être vraiment certain qu'ils puissent m'entendre. Il me faut trois bons coups dans la porte pour parvenir à l'ouvrir et aussitôt trois adolescents – deux garçons et une fille – foncent droit sur moi au moment où Thomas et Danneel me rejoignent. « Sortez-les de là ! » Leur ordonné-je en guidant tout d'abord les deux garçons vers eux. « Attendez ! Ava … Avalon est encore dedans, elle a perdu connaissance. » Me crie l'adolescente alors que je la guide à son tour vers mes collègues. Mon sang ne fait qu'un tour et mon rythme cardiaque s'accélère. Je savais ma fille de sortie avec ses amis, mais pas un seul instant je n'aurais imaginé qu'elle puisse participer à ce genre de soirée. Je me précipite alors à l'intérieur de la pièce mais la visibilité est encore plus nulle que dans le couloir. Appeler Avalon ne servira à rien, surtout si elle est inconsciente. Je me mets donc à arpenter la pièce de long en large jusqu'à deviner sa silhouette au sol. « AVA ! » Crié-je en courant dans sa direction. Penché au-dessus de ma fille, je vérifie son pouls et suis soulagé de voir qu'elle respire encore même faiblement. Prêt à la sortir de là, un grincement attire mon attention et alors que je lève la tête en direction du plafond j'ai tout juste le temps de protéger mon enfant à l'aide mon corps qu'une poutre nous tombe dessus et c'est le noir total.
« Doucement vieux, tu t'es pris un sacré coup sur la tête. » M'annonce Thomas alors que je me redresse tant bien que mal sur mon lit d'hôpital. Ma tête me fait un mal de chien, mes oreilles bourdonnent, mais je suis toujours en vie c'est le principal. « Avalon ? » Demandé-je aussitôt en posant mon regard sur mon collègue. Bon dieu, mais qu'est-ce que cette fichue migraine ? Je ferme les yeux à m'en fendre les paupières tout en sachant que ça ne fera pas disparaître la douleur. « Elle va bien, une petite bosse sur la tête due à sa chute, mais tu lui as évité le pire. » M'informe-t-il en reprenant place sur le fauteuil à côté de mon lit. Un soupire de soulagement m'échappe. Je suis bien trop inquiet pour ma fille pour lui en vouloir d'avoir participé à une telle fête, le savon attendra que je sorte de l'hôpital. Je détourne le regard et examine mon corps me permettant ainsi de remarquer ma jambe dans le plâtre. « J'en ai pour combien de temps ? » Questionné-je Thomas en fixant ma jambe en faisant une grimace. « Au moins un bon mois selon le médecin et Ollie, c'est pas tout. » Je redresse vivement la tête, grosse erreur. La pièce se met à vaciller et une nausée me gagne, toutefois je m'efforce de le cacher, de prétendre que je vais bien. « Fais pas cette tête, c'est rien de grave seulement quand on t'as amené ici on appris que Juliet  était là aussi … vous avez un beau petit garçon. » J'ouvre la bouche mais les mots me manquent. Juliet n'était pas supposée mettre notre enfant – dont j'ignorais le sexe jusque-là – au monde avant le mois prochain. J'avais manqué la naissance de mon fils et étant donné mon état, je ne pouvais pas me rendre à la maternité voir ma femme et notre garçon. « Est-ce que ... » Commencé-je pour être coupé par Thomas qui agite la tête de bas en haut. « Je vais voir ça, en attendant tu te reposes le héros. » Je lève les yeux au ciel. Je déteste ce surnom, je l'ai toujours détesté et toute la caserne le sait très bien – raison pour laquelle ils n'arrêtent pas de l'utiliser. Néanmoins, j'accepte de me reposer. Je m'enfonce doucement dans mon matelas et, sans même avoir a forcé, je me sens repartir dans les bras de Morphée jusqu'au prochain réveil.

Une main sous ma tête, l'autre posée sur contre mon torse, je fixe le plafond au-dessus de moi sans penser à quoi que ce soit. Depuis quelques minutes j'ai mis mon cerveau en pause autant pour souffler que pour oublier une culpabilité qui fini toujours par me ronger. Pourtant, je ne fais rien de mal hormis mentir à ma femme … rien de bien terrible n'est-ce pas ? Je soupire, fermant les yeux pour tenter de me calmer. Je hais ma situation. Je me hais même si je ne devrais pas, même si je sais que j'ai toujours tout sacrifier pour les autres et que pour une fois je devrais avoir le droit à un peu de bonheur. C'est tout du moins ce que me dirait Elsa si j'allais chez elle pour lui parler. C'est ce qu'elle m'a déjà dis à plusieurs reprises, toutefois j'ai toujours refusé de l'écouter jusque-là. Je dégage ma main de sous ma tête et je joins les deux sur mon visage que je frotte doucement. Ceci fait, je pose mon regard sur la personne à mes côtés et un sourire étire mes lèvres. Nous avons passé toute la nuit à parler pour qu'elle finisse par s'endormir à l'aube. Moi, j'ai été incapable de fermer l’œil. Je pense à bien trop de choses à la fois, comme au fait que je n'ai jamais partagé une telle complicité avec Juliet, à part peut-être dans les tous débuts, mais j'en doute. Ma relation avec ma femme n'est plus ce qu'elle était autrefois. L'amour – si ce dernier a bien existé entre nous – a fini par totalement disparaître pour laisser la place à la routine. Je sais pertinemment que si je reste avec elle c'est pour les enfants et si elle reste avec moi c'est … et bien je ne sais pas trop en réalité. D'un geste lent, je laisse ma main glisser jusqu'à la poche de mon jean d'où je sors mon portable. J'ai promis à ma nièce de passer du temps avec elle et si je reste plus longtemps ici alors que je suis supposé être à la caserne, elle va se poser des questions. Je me tourne sur mon flanc gauche et regarde Brooklyn dormir paisiblement. Je n'ai pas la moindre envie de la réveiller et je ne le ferais pas. Discrètement, je me lève et quitte la pièce sur la pointe des pieds, attrapant mes chaussures au passage. J'attends d'être à l'extérieur de sa maison pour les enfiler et une fois ma voiture gagnée, je mets le contact et quitte les lieux. Je devrais penser à passer moins de temps ici, mais je n'y arrive pas. J'ai trouvé dans ma relation – purement amicale – avec Brooklyn ce qui me manquait, une personne à qui me confier et qui ne me juge pas. Mes pensées restent focalisées sur ma situation tandis que je prends la direction de la maison d'Elsa et mon biper choisi ce moment précis pour se mettre à vibrer. « Et merde ! » Une intervention, parce qu'il faut que ça me tombe dessus maintenant alors que je suis censé être la caserne. Un soupire m'échappe et j'appuie sur l'accélérateur afin de m'assurer d'arriver sur les lieux de mon travail avant que le camion ne soit sorti. Vraiment, il va falloir que je pense à être plus minutieux concernant mes « disparitions » nocturnes ou la vérité va éclater et je doute qu'elle soit nécessaire ces derniers temps.