La journée est terminée et c’est rapidement que je vais récupérer ma voiture pour rentrer à la maison : premier jour de cours, premier jour de ma deuxième année en tant que senior et déjà, je n’ai pas le moral. Bon, ça ne change pas beaucoup de d’habitude depuis quelques temps, je veux bien l’admettre mais aujourd’hui, ça a été comme je l’avais imaginé : difficile et dur à encaisser. Je fais attention sur la route, je suis concentré, je viens juste de terminer de payer les réparations de l’accrochage que j’ai eu en mai alors je vais éviter de recommencer mes conneries. Lorsque je me gare devant la maison, je coupe le contact et soupire avant de m’adosser dans le fond de mon siège : je vais rester là quelques instants. Mes parents sont là, je le sais, d’une parce que je vois la voiture de ma mère et la vieille bécane de mon père, de deux parce qu’ils m’ont prévenu qu’ils seraient là mon retour du lycée pour savoir comment tout s’était passé. Je n’ai pas envie de rentrer tout de suite parce que j’ai beau vouloir leur mentir, j’en suis tout simplement incapable. Ils me connaissent comme personne et même si je leur dis que tout va bien, ils verront dans mon regard que ce n’est pas vrai. Du coup, avec eux, j’opte toujours pour la vérité et je sais que la vérité va leur faire mal au cœur et ça m’ennuie, ça m’ennuie sincèrement. Je ne peux cependant pas repousser l’échéance éternellement et comme ça doit faire une bonne dizaine de minutes que je suis là, je finis par sortir et par rentrer à la maison. Bingo : mes parents sont dans le salon, assis, et ils m’attendent. C’est de l’embuscade ou je ne m’y connais pas. Je pose mon sac à dos dans l’entrée et je les rejoins. Un sourire très moyennement sincère de ma part associé à un petit signe de la main avant que je ne m’adosse contre le mur. J’ai l’air un peu penaud là mais c’est à cause de leur tête : ils sont tous les deux anxieux je le vois bien. C’est finalement ma mère qui prend la parole.

« Alors ? » demande-t-elle et dans sa voix transparait la même anxiété que dans ses yeux.
« C’était pire que ma rentrée en mai. » annoncé-je sans préambule.

Ils écarquillent tous les deux les yeux. Je poursuis rapidement.

« Je n’ai embouti la voiture de personne cette fois-ci, ne vous inquiétez pas. Et je n’ai pas trop mal à ma cuisse. »

Je les rassure en disant ça, mais ça ne suffit pas. Je soupire.

« Les garçons ne sont plus là alors ça fait très bizarre. » terminé-je par expliquer le plus sincèrement du monde.

Mes amis de l’équipe de football sont partis à l’université et ça me fait tout drôle d’aller au lycée et de ne pas les voir.

« Et puis… » Il y a autre chose oui. Une chose qui me fait mal. Une chose qui me ronge. Une chose qui me fait presque monter les larmes aux yeux. « Ils ont lancé les inscriptions pour les sélections de l’équipe et ça me fait super bizarre de ne pas mettre mon nom. C’est la première fois. »

Ma voix meurt sur les derniers mots : c’est la première fois que je ne vais pas tenter les sélections et ça me fait chier, voilà, parce que je ne les tenterai plus jamais. Mes parents se regardent en silence, mon père finit par hocher la tête : ils sont télépathes ou quoi ? Je fronce les sourcils, me demandant à quoi ils jouent. Ma mère finit par se pencher et par récupérer ce qui ressemble à un prospectus sur la table basse et me le tend. Je l’observe de là où je suis mais je ne prends pas la peine de m’approcher : je n’ai pas besoin de récupérer le prospectus puisque je vois des prothèses dessus.

« Euh… J’ai déjà ma prothèse maman et j’ai assez mis de temps à m’y habituer, je vais pas en choisir une autre. »  dis-je, ne saisissant pas pourquoi elle me montre ça.
« Il faut que tu le lises. » insiste ma mère.

Un nouveau soupir de ma part et je m’approche pour récupèrer le prospectus. Je me mets à lire comme ma mère me l’a demandé et au fur et à mesure de ma lecture, mon cœur se met à battre plus vite. Ma bouche finit même par s’entrouvrir sous le choc ou la surprise, ou les deux. Je reste un instant silencieux avant de relever mon regard vers mes parents.

« Vous êtes sérieux ?... » demandé-je dans un murmure.

Voilà qu’ils affichent tous les deux un large sourire avant de hocher la tête.

« Bien sûr. » me dit ma mère et je reporte mon attention sur le prospectus.
« Tu ne pourras pas jouer au football, il n’existe pas encore de prothèse pour ce sport-là mais il y a beaucoup d'autres possibilités. » me dit mon père.
« La natation et même l’athlétisme ou le basket. » renchérit ma mère.
« Non, attendez. » Mon regard se fixe sur eux. Je secoue légèrement le prospectus. « Je suis sûr que ça coûte très cher. »

Là, ils me proposent une prothèse sportive et oui, je suis persuadé que ça coûte vraiment très cher. Ils ne répondent rien.

« Non. » Je secoue la tête. La brève bouffée de bonheur que j’ai ressenti s’évapore mais c’est hors de question que j’accepte.
« Zac… »
« Non maman ! Vous travaillez déjà comme des fous pour continuer à payer les frais médicaux et mon séjour dans le centre. On ne va pas rajouter ça en plus ! »
« Ce n’est pas à toi de t’inquiéter de ça. » dit mon père avec sérieux.
« Si ! Vous faites déjà beaucoup pour moi, je peux pas vous demander un truc pareil ! »
« Tu ne demandes pas : on te le propose ! »
« Et si on ne pouvait pas se le permettre on ne t’aurait rien dit. » confirme ma mère.

Ils essayent juste de me rassurer, je le sais. Ils seraient prêts à tout pour moi, à tout. Bien, je vais adopter une autre stratégie dans ce cas.

« C’est trop tôt de toute façon, je suis à peine habitué à cette prothèse-là. »

Voilà, c’est l’argument imparable.

« Nous en avons déjà parlé au Docteur Stevenson et elle est complètement pour. »

On repassera pour l’argument imparable. J’ouvre la bouche mais ne dis plus rien. Je me remets à observer le prospectus. Au-delà de l’inquiétude que j’ai du point de vue financier il y a autre chose, je ne sais pas ce que c'est mais ça me gêne.

« Je ne sais pas… » terminé-je par dire.
« Le basket pourrait peut-être te convenir. » dit mon père, apparemment décidé à me pousser à accepter.

Malheureusement, c’est vraiment la dernière chose à dire.

« Non. Certainement pas. Je ne toucherai pas un autre ballon qu’un ballon de football. Jamais. »

Il y a une pointe de colère dans ma voix mais là, il vient de toucher une corde sensible et il le sait très bien. Il hoche la tête.

« L’athlétisme ? »

Je ferme les yeux.

« Quoi que tu choisisses, tu feras partie d’une équipe et je suis sûre que tu en meurs d’envie. »
« Et tu cours très vite, ça a toujours été ton point fort. »
« STOP ! »

Je les coupe parce que ça suffit : c’est trop.

« Je vais y réfléchir, d’accord ? Je ne peux pas… Je vais y réfléchir. »

Et j’y réfléchis, toute la fin de la journée, tout le début de soirée et quand je suis en train de marcher pour aller retrouver Rose à notre point de rendez-vous habituel, c’est également à ça que je réfléchis. J’ai tellement de choses plein la tête, heureusement qu’aujourd’hui est le jour des étoiles. Au moins, je vais pouvoir me vider l’esprit. En plus, je vais pouvoir demander conseil à Rose parce qu’en plus de regarder les étoiles, on parle beaucoup, on est là l’un pour l’autre et ce soir, je vais vraiment avoir besoin des conseils de mon amie. Je la distingue allongée dans l’herbe et je viens finalement m’allonger à côté d’elle. Je pose mes mains sur mon ventre et me mets à observer le ciel.

« B’soir. » dis-je tout bas  à Rose avant de tourner mon regard vers elle.

J’ai beau avoir la tête encombrée, je suis content de la voir alors je lui adresse un sourire.

« Comment ça va ? Je n’ai rien loupé de sympa j’espère. »

Comme une étoile filante ou peut-être même une météorite : on a eu la chance d’en voir quelques-unes déjà et c’est un spectacle magnifique. Cela dit, là, tout de suite, ce qui m’intéresse plus que le ciel c’est de savoir si elle va bien, d’où la première question.

© charney

J'aime son sourire, il m'apaise, me fait beaucoup de bien parce que je le sais sincère, je sais qu'il n'est pas là juste parce qu'elle a pitié, contrairement à certains. Je sais qu'il est là parce qu'elle est sincèrement contente de me voir, contente à l'idée de partager un petit bout de vie avec moi tout comme je suis heureux de partager un petit bout de vie avec elle. Finalement, elle laisse échapper un éclat de rire quand je lui demande si je n'ai rien loupé et j'ai l'impression de l'entendre en écho tant il n'y a que nous et rien d'autre que nous. Finalement, voilà qu'elle me dit qu'elle va bien en dehors du fait que sa tête va exploser et mon sourire se dissipe quelque peu tandis que je fronce les sourcils. Elle enchaîne en m'annonçant que je n'ai rien loupé, les étoiles s'étant apparemment montrées sage durant mon absence : elles m'ont attendu qu'elle me dit et je reporte mon regard vers le ciel. Elles m'attendent toujours comme Rose m'attend toujours et c'est une pensée réconfortante. C'est quand Rose me demande de mes nouvelles que je reporte mon attention sur elle. Si mon retour à la vie de lycéen n'a pas été trop difficile ? Comment dire ?... Elle connaît sans doute déjà la réponse en fait mais ça fait toujours du bien d'en parler. Surtout à Rose. Je soupire et esquisse un petit sourire triste.

« En fait, ça s'est passé comme je l'avais craint. Tout le monde a été gentil avec moi et c'est ça qui m'agace le plus... La façon qu'ils ont de me regarder aussi. Je veux dire, ils devraient être habitués maintenant mais non, il faut toujours que les regards aillent jusqu'à ma jambe... Parfois je me dis que je devrais porter des bermudas pour qu'ils voient la prothèse histoire qu'au moins ils regardent vraiment quelque chose. »

Note pour plus tard : faire vraiment ce que je viens de dire histoire de les achever tous sur place. Enfin, s'il n'y avait eu que ça aujourd'hui... Je reprends d'une voix plus basse car plus éteinte.

« Et puis ils ont affiché les inscriptions pour la sélection de l'équipe et c'est la première fois que je m'inscris pas c'est... C'est juste totalement nul en fait. »

Je marque un silence.

« Je vais devoir m'y faire, c'est tout. Mais et toi ? Il y a encore des tensions chez toi ? C'est pour ça que tu dis que ta tête va exploser ? »

Si elle connaît tous les détails me concernant, je ne connais pas tout sur elle, j'en ai bien conscience mais cela ne me gêne pas. Rose me confie ce qu'elle a envie de me confier mais je sais par contre que ce n'est pas la joie chez elle. Au moins, même si j'ai perdu une jambe et mes rêves par la même occasion, mes parents sont là pour moi, ils m'aiment et me soutiennent : j'ai cette chance-là. Rose, pas forcément.

© charney