J'ai toujours considéré que la famille est quelque chose d'extrêmement important pour l'équilibre mentale de quelqu'un. La famille, on ne la choisit pas, puisque l'on naît avec. Cependant, on finit par s'y habituer et même si parfois, les choses sont difficiles, l'amour prend le dessus. C'est comme ça chez nous, avec Babylon. Aujourd'hui, et comme à chaque repas, tous les soirs, elle sort de table avant nous, exaspérée par les deux sujets de discussions qui dictent le dîner. Je la comprend, elle se sent délaissée... Et j'en veux à mes parents de ne pas essayer de s'intéresser un peu plus à elle. Mais je ne peux contrer mon père qui ne cesse de me demander ce qu'a donné l'entraînement du jour, et il faut l'avouer, Tex est bien heureuse de discuter cheerleading avec notre mère. Alors Baby encaisse encore et toujours, elle fait des remarques et il y a alors d'immenses blancs au milieu de nos conversations. Je baisse les yeux sur mon assiette, comme à chaque fois, et j'entend les pieds de sa chaise crisser sur le sol puis ses pas s'éloigner. Ma mère soupire en même temps que Tex et toutes deux débarrassent la table en se remettant à papoter, comme si de rien n'était. Je lève les yeux vers mon père qui se tient la tête entre les mains. Nos parents ne savent pas comment réagir, et je leur en veux pour ça. Ca ne devrait pas être à moi de tenter de ramener Baby vers nous, au départ c'est leur rôle. Je finis par me lever et retourner dans ma chambre faire de la muscu, des écouteurs dans les oreilles. Après avoir prit une douche, je me faufile sur ma couette mais comme toujours, le sommeil ne me vient pas. Les mains derrière la tête, je regarde le ciel étoilé au dessus de Dillon en me demandant ce que me réserve l'avenir. La rentrée est demain, les sélections pour l'équipe ne devraient pas tarder. C'est ma dernière année au lycée, et j'ai un pincement au coeur en pensant à cela. Dans un an, je rentrerai à l'université en n'ayant aucune idée de ce que j'ai envie de faire, et cela me terrifie. J'aimerais pouvoir me faire repérer par un sélectionneur, cette année, afin d'intégrer une équipe universitaire reconnue et avoir une bourse. Mais pour cela, je dois être au top cette année. Je sursaute à peine lorsque j'entend la porte de ma chambre s'ouvrir et Baby passer sa tête par l'encadrement. Je lui souris alors qu'elle vient se blottir dans mes bras, allongée à mes côtés sous la couette. Elle lance alors Hunger Games, notre film favori. C'est comme ça, entre nous. Parfois elle débarque et s'installe sans un mot, et nous regardons notre film avant qu'elle ne s'endorme dans mes bras. Et le matin, lorsque je me réveille, elle n'est plus là, comme si la veille n'avait été qu'un rêve. Je tourne la tête pour déposer un baiser sur son front, sa tête est blottie dans mon cou, le visage tourné vers l'écran. Les premières images défilent, mais aujourd'hui j'ai besoin de lui parler. Je ne le fais jamais, ou presque. Mais j'ai besoin de discuter avec elle. J'ai besoin de savoir comment elle va, comment elle se sent. Tu t'inscris dans quel club cette année ? Une question simple, chuchotée tout bas, mais lourde de sens. Je veux qu'elle sache que je m’intéresse à elle, qu'au moins une personne dans cette famille s'intéresse à elle.

Jamais, au grand jamais, l'un de nous avait osé briser le silence de nos soirées comme je viens de le faire. Cependant, je ne le regrette pas. Je viens en quelques sortes de briser la glace, de fissurer l'invisible barrière qui nous sépare. Le silence qui suit ma phrase en dit long, et je sens ma petite soeur se tendre un peu, à côté de moi. Je la vois froncer les sourcils, et je me demande si elle va m'en vouloir d'avoir ainsi interrompu notre moment. Anxieux, je pose mes yeux sur elle. Tutorat, comme d'habitude. Tir à l'arc aussi s'ils se décident à ouvrir le club. Je souris. Nous sommes de bons élèves, dans la famille, mais Baby est sans doute la meilleure d'entre nous. Je me demande d'ailleurs pourquoi papa et maman ne la félicitent pas plus souvent... C'est dommage qu'ils ne jurent que par nos sports. Baby fera de grandes études, j'en suis certain, et elle aura sans doute le meilleur job qu'elle puisse s'offrir. Ils sont fiers, je le sais, mais ne le montrent pas assez. Après tout, ils se sentent peut-être démunis face à cette fille qui semble s'éloigner de sa famille alors qu'elle l'aime plus que tout. Pourquoi ? Je hausse les sourcils mais finalement, sa question ne m'étonne pas tant que ça. Je réponds alors ce qui me vient à l'esprit tout naturellement. Parce que ça m'intéresse. Je souris à nouveau pour moi-même en embrassant le front de ma petite soeur avant de lui caresser les cheveux d'un geste doux et protecteur. Je sais que cette phrase lui fera du bien, et j'aurais peut-être le droit de voir un mince sourire se dessiner sur ses lèvres, qui sait ? Baby manque clairement d'attention. En fait, elle a toujours manqué d'attention. Je l'avoue, je suis moi-même fautif puisque je suis bien plus proche de Tex que d'elle. Cependant, depuis quelques temps je fais des efforts pour rentrer un peu plus dans la vie de Baby. Je tente d'engager la discussion, de faire des blagues, de lui sourire, d'avoir des contacts avec elle. Mais à chaque fois, ou presque, elle me rejette. Elle esquive ou bien coupe court à la conversation, comme si elle ne voulait pas avoir affaire à moi. Mais ça crève les yeux, je lui manque. Tex lui manque. Sa famille manque cruellement dans sa vie. Et je trouve ça terriblement malheureux. C'est la raison pour laquelle ces moments comme ce soir sont ce que j'ai de plus précieux au monde. Tu devrais demander l'ouverture du club toi-même et te mettre présidente. Je pense que tu leur a assez prouvé que tu es une fille responsable et organisée. Ma voix est calme, posée, assurée. Je suis quelqu'un de franc, et Baby le sait. C'est pourquoi je sais que les compliments que je lui fais ne tomberont pas dans l'oreille d'un sourd. Je gagne des points, j'avance pas à pas, je rentre doucement mais sûrement dans la vie de ma petite soeur et je m'y fais une place un peu plus grande au fur et à mesure que le temps passe.

Spoiler:

Je tente une approche, des approches même, depuis cet été. Je ne pouvais plus supporter l'ambiance désastreuse qui régnait à la maison. A voir nos parents, on aurait dit qu'ils seraient presque mieux sans Baby comme fille alors que je sais qu'ils l'aiment profondément. Mais ils sont si peu doués avec les mots, avec les sentiments, que l'on pourrait bel et bien croire qu'ils renient leur fille. Voilà pourquoi je voulais faire bouger les choses, et cela m'était sans doute venu avec ma prise de maturité. J'suis pas sûre que beaucoup de monde soit intéressés par ce club. J'me fais pas d'idées. Je hausse un sourcil en répliquant tout naturellement, sur un ton mi-surpris, mi -amusé. Hé ben, j'te pensais pas si... looseuse. L'idée ? Lui lancer un pic pour la faire réagir. J'espère bien sûr qu'elle ne va pas s'énerver, mais si elle pouvait ne serait-ce que me donner une tape de mécontentement, ce serait pour moi une véritable victoire, le début d'un véritable lien, un pas de plus après nos soirées films. C'est pas parce que j'viens pas au match que j'suis pas fière de toi. Et j'espère vraiment que tu seras quaterback. Sa phrase me fait l'effet d'un coup de poing dans l'estomac, et je reste muet quelques secondes, un sourire heureux s'affichant sur mes lèvres lentement. Merci... murmurai-je simplement. Ce qu'elle vient de me dire relève du miracle, et je profite de l'instant, gravant cette phrase dans mes pensées. A cet instant, je me rend compte qu'elle aussi vient de faire un pas en avant, récompense à tous ceux que j'ai fait avant elle. On dirait toi. Tu m'apprendras à tirer, un jour ? ajoutai-je alors, le plus naturellement possible, alors que mon regard se porte sur le film où l'héroïne est justement en train de bander son arc. Je comprend pourquoi il s'agit de son film préféré, elle s'identifie beaucoup à cette fille-là. Et mine de rien, elle lui ressemble en bien des points..

Peut-être ai-je été trop loin ? Peut-être ai-je trop abusé de paroles pour ce soir ? Baby s'est tournée vers moi en plantant son regard dans le mien. Qu'est-ce que tu veux ? Je suis surpris qu'elle me demande cela et je fronce les sourcils, interrogateur. Crois-t-elle réellement que je suis sympa avec elle pour... pour recevoir quelque chose en échange ? Finalement, elle ne me connaît pas, et je trouve ça malheureux. J'aurais presque envie de lui répliquer qu'elle voit le mal partout, c'est sans doute un peu le cas au final, mais dire cela ne va pas arranger les choses. Mieux vaut la brosser dans le sens du poil, cette demoiselle. Je m'apprête à ouvrir la bouche lorsqu'elle réplique. T'as pas besoin de faire semblant Abso. C'est pas comme si c'était nouveau que mes activités soient merdiques. Ok... Je soupire en levant les yeux au ciel, voulant faire comprendre à ma petite soeur que là, son comportement est désespérant. Elle passe son temps à se victimiser, à râler. Certes, elle a des raisons, et non des moindres, mais être négative et se braquer tout le temps n'arrangera rien, et ça elle ne l'a pas compris. Baby, je suis sérieux. Arrêtes de voir le mal partout s'il te plaît. Je me force à garder mon regard planté dans le sien et appuie rapidement sur le bouton pause de l'ordinateur. La discussion est inévitable à présent. Arrêtes de voir le mal partout. C'est pas des paroles en l'air, je fais des efforts Baby, je veux que tout s'arrange, que tu ailles mieux. Alors aides-moi, s'il te plaît. Je me redresse à l'aide de mes coudes et m'adosse au mur derrière moi tout en continuant de regarder ma petite soeur. Si elle pouvait faire elle aussi des efforts, les choses pourraient tellement aller mieux dans la famille... Je soupire en l'observant, attendant  sa réaction. Je suis prêt à parier qu'elle va vouloir s'échapper, éviter la confrontation, fuir. Parce qu'elle passe son temps à fuir, comme nous tous, mais il est temps de faire changer les choses.

Je me force à paraître désespéré lorsque Baby me réplique une phrase qui ne m'étonne même pas. Je vais très bien. Je soupire, encore une fois. Je commence à bouillonner, moi qui est pourtant d'un tempérament froid, au naturel, là elle me met les nerfs à vif. J'ai envie de répliquer, de lui crier dessus pour graver mes paroles dans sa tête, mais ça ne servira à rien d'autre que de la braquer encore plus. J'aimerais qu'elle ouvre les yeux sur ce que je suis en train de faire, qu'elle comprenne que je ne suis pas là pour la forcer à quoi que ce soit, que je suis simplement là pour elle, pour voir son sourire et non ses larmes. Tu peux pas tout réparer Abso. Y a des choses qui marchent plus et.. J'peux pas t'aider. J'en suis pas capable. Fais toi une raison. C'est ça oui, et je vais laisser les derniers espoirs que j'ai de faire de notre famille quelque chose qui ressemble plus à... une famille s'envoler ? Non mais bien sûr. Je ne soupire même plus et tente tant bien que mal de garder mon calme. Arrêtes de te voiler la face et de te trouver des excuses. T'as juste pas envie d'avoir cette conversation car ça te fait flipper ! Je parie que t'as qu'une envie c'est de courir jusqu'à ta chambre. Hein ? Mon regard est planté dans le sien et je ne démords pas de cette confrontation visuelle. Je lui fais un signe de la tête, mon menton montrant la porte face à nous. Alors vas-y. Vas-y, retournes te cacher, fuis encore une fois le conflit. Mais la différence par rapport à d'habitude, Babylon, c'est que moi j'essaie de régler les choses. Je fais en sorte que ça change, je baisse pas les bras en disant tant pis. Aies un peu de force d'esprit, merde Baby. Je te connais peut-être pas bien mais si y'a bien une chose que je sais c'est que t'as de la volonté, et du caractère. Alors montres le moi ! Mon ton est quelques peu monté et j'espère ne pas avoir alerté Ten et nos parents. Le silence prend place dans ma chambre alors que je n'ai pas quitté Baby du regard. Je ne sais pas comment elle va prendre mes paroles, c'est la toute première fois que je la secoue sur un ton un peu houleux. Mais dans tous les cas, elle ne quittera pas cette chambre tant que la conversation ne sera pas terminée.